mercredi 7 mars 2012

Bahia de tous les saints et de tous les péchés


Seize heures de car pour nous rendre à Salvador do Bahia, où nous serons présents pour le ‘’Lavagem do Bonfim’’, la plus grande fête religieuse de Bahia, celle de Jesus Oxala, une procession étrange illustrant le syncrétisme entre un catholicisme subi, puis accepté, et le Candomblé, héritage de l’Afrique.


 Lavagem deo Bonfim


Etonnante cette procession mystique transformée en acte politique et de défiler derrière la bannière du parti des travailleurs. Toutes sortes d’associations sont présentes. On peut suivre un groupe de capoeristes ou de vieilles femmes qui dansent, qui ont sans doute toujours dansé et qui danserons jusqu’au bout. C’est la fête pour tous, à tous les âges et de toutes les couleurs. J’effleure…

Bahia est un concentré d’histoires, celles de ces aventuriers portugais du XVIème siècle, et celle, bien sûr, de l’esclavage qui fit que Bahia devint noire. Bientôt ce sera le Carnaval à Bahia, Bahia de tous les saints et de tous les péchés. Nous verrons….Nous reviendrons, en bateau cette fois.

Chapadia Diamentina



Sept heures de bus depuis Salvador. Il faut passer Lençois, aller jusqu’au petit bourg de Palmeiras et il ne reste plus alors que 20 kms de piste pour atteindre Vale do Capao. Quelques minibus,  vieux pickup Ford ou Chevrolet font la navette. Il y a en fait assez peu de véhicules. Lorsqu’ils ne se font pas à pieds, les déplacements se font à l’arrière d’une mototaxi.

Vale do capao est un petit village au cœur du parc national de la Chapada Diamentina. L’électricité n’y est arrivée qu’en 1988. C’est à cette époque que sont venues s’installer quelques communautés de marginaux européens. Pour deux cent malheureux dollars, on pouvait alors faire l’acquisition d’un hectare de terre. Nombreux sont ceux qui bien sûr n’ont fait que passer mais certains sont restés, ont gardé un pied à terre ou continuent d’y venir de temps à autre. C’est ainsi que nous avons rencontré Denis, installé  en bordure du Rio Rodas avec, depuis la chambre de sa petite demeure, une vue imprenable sur le Morro Branco. A Vale do Capao, il y a bien sûr quelques familles paysannes, des artisans, mais c’est le tourisme qui est devenu la principale source de revenu du village, même si la clientèle n’est encore principalement constituée que de hippies et de rastas. Tous ne sont pas démunis et les pousadas fleurissent. En parallèle, la vie culturelle y est très riche. Un français a créé une école de cirque. Laura y suivra des cours. Nous avons également assisté à un petit festival de jazz.  Vila do Capao est un village vraiment très agréable. La population est suffisamment métissée pour que chacun puisse s’y sentir à sa place.
Nous profitons des dizaines de cours d’eau qui entourent le village. Rivières, cascades, piscines naturelles en veux tu en voilà.. Que c’est bon de lézarder à poil perchés sur des rochers.   


                                                            Laurence & Eric

Fin janvier, sommes de retour sur le rio Paraiba, concert de Manu Chao sur la plage, quelques bons moments, mais j’ai hâte de repartir sur Bahia, d’autant qu’un Super Maramu du rallye des îles du soleil nous rentre dedans par le travers à l’issue d’une manœuvre particulièrement peu soignée. Pas de dommage : Nous sommes en acier…

Début février : Enfin nous retrouvons le grand large. Il nous faudra cinq jours pour parcourir les 500 miles qui nous séparent de Salvador. Peu de vent (8 à 10 nds sur tout le parcours), un courant contraire jusqu’à Maceio et l’équipage s’impatiente. Le 8 février, nous y sommes enfin.

A Pier Salvador, nous retrouvons Davide que nous avions connu à Jacaré et qui navigue seul sur un petit bateau de 7,50 m. Courageux ! Mais très seul….

9 février : Retour à la Chapada Diamentina. Nous descendons chez Lars, un type tout à fait charmant, la simplicité et la gentillesse même.
A nouveau, nos journées s’enchaînent avec de longues ballades dans la nature. Laura va à l’école de cirque.

En explorant davantage les alentours, nous réalisons que la spéculation sur les terres a bel et bien démarrée. Pendant combien de temps encore les vieux hippies et les jeunes babs se sentiront ils chez eux ? Heureusement, les pistes sont étroites, les chemins non carrossables et peu de terrain sont encore viabilisés.

Nous profitons des rivières. L’eau est d’une couleur cuivrée tendant vers le rouge. C’est le résultat, paraît-il d’une plante qui s’y infuse. J’ai toutefois noté que des jeunes grattaient les pierres ferrugineuses pour en tirer des pigments et se faire des maquillages.




23 février : retour à Salvador. Je réarme le bateau.
Petit problème d’alignement de l’arbre d’hélice. Le temps de réparer, nous ratons une marée.
               
Remontée du rio Paraguaçu jusqu’à Sao Francisco: Si l’on aborde le rio à la marée montante, il ne faut que quelques heures pour atteindre Sao Francisco. Nous ne ferons qu’une courte halte en accostant le ponton d’une belle propriété privée. (Laurence a eu le culot de le faire. Je n’étais pas sûr qu’il y ait assez d’eau sous la quille).

Ici, comme partout ailleurs au Brésil, les contrastes sont forts. Hier, nous étions dans le mouillage le plus calme du monde, à quelques dizaines de mètres d’un petit port de pêche qui se trouve au sud de l’île ‘’Bom Jesus’’ dans la baie de Salvador. Les habitants y sont des gens simples et très pauvres qui vivent loin de la fureur de la ville, mais au sud de ce même mouillage, se trouvent quelques îlots privés, de belles villas et des méga yachts. Nous verrons même un hélicoptère s’y poser. Sur le rio Paraguaçu, les contrastes sont moins provocants car l’espace y est plus important, la nature omniprésente et l’on ne peut que se plier à ses lois en guettant la courbe du soleil et les heures de marées.

Mouillage de rêve dans 8 mètres d’eau, face au débarcadère d’un vieux monastère du 17ème siècle.

                                               Bonaventure sur le Paraguaçu – Vue du monastère


Nous sommes seuls sur le rio qui vit au rythme des marées et de la pêche artisanale. Tout est calme cette après midi. Le temps s’est arrêté après que le soleil ait atteint son zénith et les familles de Sao Francisco sont maintenant, toutes entières, à l’ombre des maisonnettes qui bordent les quelques petites rues du village. La vie ne reprendra son cours qu’aux alentours de dix sept heures.

A Sao Francisco, nous avons vu des bœufs, quantité d’ânes et de chevaux, mais je n’ai dénombré que trois voitures. Pas de supermarché, juste quelques petits dépôts de pain, et autres aliments de première nécessité.

Nous passerons ensuite par Maragogipe, ville sans grand  intérêt, mais qui a, paraît-il, un très beau marché le samedi. De là, nous nous rendrons à Sao Felix et Cachoeira, petites villes coloniales qui furent des centres d’exploitation de la canne à sucre et du tabac et dont les façades ont atteint un état de décrépitude avancé. Chaleur, indolence…J’achète quelques cigares.  
De retour au bateau, nous repérons des ibis rouges en bordure de mangrove.


                                                Une rue de Cahoeira 


Retour dans la baie de Salvador. Nous mouillons en face de la marina d’Itaparica où se trouvent déjà une vingtaine de voiliers. Après plusieurs jours sur le rio, j’ai l’impression de me retrouver sur la côte d’azur. Cela étant l’endroit est agréable et nous y faisons quelques rencontres.

Laurence plonge pour nettoyer la carène, mais une mise à sec ne va pas tarder à s’imposer. Notre peinture s’en va et même les primaires sont très fatiguées.

Deux jours plus tard, nous sommes à Salvador pour le carnaval. Premier soir au Pelourinho. Ambiance bon enfant. Le lendemain, je suis saisi d’un mal de dos qui m’interdit tout déplacement et c’est tant mieux car Laurence et Laura qui sont allée festoyer au Barra, me reporteront une image très ‘’commerciale’’ de ce carnaval. Troisième soir, retournons au Pelourinho: Des fanfares, une bonne ambiance, mais finalement peu de costumes. Pour le carnaval de Salvador, les gens ne se déguisent pas. Ils défilent, boivent, et sont deux ou trois millions dans la rue. Il faut aimer les bains de foule…Ce n’est pas tout à fait mon cas.

9 mars : Denis que nous avions rencontré à Vale do Capao nous rejoint avec son amie Mirella. Nous quittons Pier Salvador de bonne heure le matin, voiles appuyées par un peu de moteur, puis voiles seules, belle journée de mer jusqu’à Morro do Sao Paulo où nous atterrissons dans l’après midi. Morro do S Paulo est trop touristique à notre goût. Nous finissons la soirée à bord et Denis chante Brassens.

Le 11 mars, nous retrouvons Davide au mouillage de Gamboa sur le rio Cairu. Davide nous fait rencontrer Véronique et Pierre, installés à Gamboa depuis deux ans et déjà fatigués d’être toujours pris pour des ‘’gringos’’. Nous passons la soirée ensemble et Pierre nous raconte ses aventures à bord d’un langoustier au début des années 90 : La mer rouge, Madagascar, Dar Es Salam, le trafic de vanille et de whisky, la chasse aux épaves…Pierre fut sans doute une sorte de Monfreid contemporain mais, il le dit aujourd’hui : ‘’la mondialisation et l’informatique ont rendus l’aventure difficile..’’
                 
Nous décidons ensuite de faire route sur le canal d’Itaparica et de l’emprunter par le sud. ‘’Eileen of Avoca’’, le petit bateau de Davide nous ouvrira la route. Il ne cale qu’ 1,10 m et nous convenons donc qu’il passera en premier en nous indiquant les sondes par VHF. Nous arrivons à Catu, à 1 mile au nord de Cacha Prego, en fin de marée haute, marée d’équinoxe… Nous passons sans problème en laissant le gros des déferlantes sur notre tribord.

Deux jours plus tard, nous levons l’ancre à marée basse et amorçons la remontée du canal. A peine avons-nous démarré que nous touchons. J’avais bien repéré ce banc couvert d’un mètre quarante d’eau, mais j’avais oublié d’en parler à Laurence qui est à la barre. Pas grave, la marée monte et nous pouvons remettre en route après quelques minutes. Je décide tout de même de forcer  le passage : 1,40 m, la barre est dure, la quille est dans la vase mais le bateau bouge ; 1,60 m nous labourons le fond ; 1,80 puis 2,00 m, puis 3,00. Nous sommes sortis. Une heure plus tard, nous passons sous le pont qui relie l’île Sao Gonçalo à Maria Meireles. Nous laissons ensuite sur notre tribord les îles do Matarandiba, do Cal, do Saraiba et nous arrivons à Itaparica en début d’après midi.

Nous sommes inquiets pour Daniel, en situation irrégulière, car nous avons appris que la douane et les agents de l’immigration ont effectués une descente quelques jours après notre départ d’Itaparica. Plusieurs bateaux auraient été mis sous scellés. Mais non, Daniel est là, tout sourire et sans la moindre inquiétude..

20 mars : Retour sur Pier Salvador. Nous décidons de naviguer de concert avec ‘’Eileen of Avoca’’ car Davide doit présenter une photo de son bateau à la presse. Nous traversons la baie de Salvador par bonne brise et faisons quelques photos les uns des autres..

                                                Eileen of Avoca


Nous sommes passés au bon moment car la nuit et le jour suivant le temps se dégrade : Rafales et pluies se succèdent. Le 21 mars, le vent souffle grand frais. Dehors la mer est forte. Nous en profitons pour faire un grand ménage. Les jours suivants nous rappellent que la saison des pluies commence.

Nous étions inquiets pour Daniel, mais c’est Gérard et une douzaine d’autres bateaux, principalement français, qui se sont fait épingler. Gérard doit payer seize milles réals. Je lui conseille de ‘’disparaître’’ dès que la mer sera plus calme. C’est ce qu’il fera. 

Nous passons quelques soirées au Pelourinho. Petites rues charmantes, rencontres non moins charmantes, mais la misère des enfants des rues me prend à la gorge. 


                                               Au petit matin 

Toujours à Salvador.

Nous ne pouvons plus ne plus voir les ravages occasionnés par le crack, ces petits mômes de dix ou douze ans sortis des favelas qui jouxtent le Pelourinho et qui survivent dans la rue, livrés à eux-mêmes et à leur dépendance, ces jeunes filles aux yeux injectés de sang qui mendient de la nourriture pour la revendre. A cinq réals la dose, soit à peu près deux euros, il n’est pas difficile d’imaginer que l’enfer soit accessible aux plus jeunes. La plupart d’entre eux n’ont connu que la violence depuis leur plus jeune âge. Leur espérance de vie n’est que de vingt ans environ, s’ils ne se font pas buter avant.
Dans sa lettre ouverte contre la torture, Roger Beeckmans, réalisateur et grand reporter, parle de cette misère insoutenable. Nous avons, nous aussi, vu les enfants fouiller les poubelles et boire l’eau des caniveaux, mais Roger Beeckmans va plus loin lorsqu’il évoque certains cas de torture et de mort violente. ‘’Des enfants m’ont raconté, malgré la peur des représailles, comment les policiers les avaient emmenés dans des terrains vagues, les avaient violés et torturés. J’ai vu les photos d’un adolescent plongé dans un bain d’acide lors d’une séance de torture dirigée par un policier promu ensuite à un grade supérieur’’

Notre fille, Laura, a pu constater la misère de ces enfants des rues. Elle avait réalisé un excellent reportage sur les enfants talibés mendiants au Sénégal, mais quand bien même parlerait-elle portugais, je vois difficilement comment nous aurions pu l’inviter à faire un travail similaire au Brésil tant l’horreur de la situation flirte avec l’invraisemblable. Il ne s’agit plus de quelques centaines d’enfants embrigadés par des marabouts sans scrupule, mais de centaines de milliers (on parle de plusieurs millions) de petits gosses victimes de tous les maux : Misère, violence, drogues dures, violence encore dans le cycle infernal de la survie. C’est toute une génération qui est sacrifiée.
Personne n’osera contester les effets positifs de la politique sociale du Président Lula. La « bourse-famille » a permis à plusieurs dizaines de millions de brésiliens d’échapper à la pauvreté absolue, mais la lutte est inégale si l’on considère que le nombre de consommateur de crack a doublé en moins de cinq ans au Brésil engendrant toujours plus de violence et de détresse.

Que pourra faire Dilma Rousseff ? Personne n’en sait rien, mais lorsqu’il s’est agi de fêter sa victoire, elle a déclaré : ‘’ Nous ne pouvons rester les bras croisés pendant que les Brésiliens ont faim, que les familles vivent dans les rues, que les enfants pauvres sont abandonnés à leur sort et que le crack  fait la loi’’.



 
Arrivée au Brésil, terre de contraste !

En accostant sur le rio Paraiba, l’impression de sérénité que nous offre le fleuve est la même que celle que nous avions eu sur le fleuve Sénégal. Mais déjà se profile à l’horizon la massive barrière de béton de Joao Pessoa.

‘’C’est beau, une ville, la nuit’’ écrivait Bohringer. Il n’avait pas tort mais, dans le cas présent, je préfère garder mes distances. Le 3 décembre, en milieu de journée, j’assiste à un assassinat dans la rue. Rafale d’arme automatique en plein centre de Joao Pessoa, un homme tombe et se vide sous le regard résigné des passants.

Le Nordeste est une des régions les plus pauvres du Brésil et la cachaça fait des ravages. Mortalité infantile, alcoolisme, banditisme réduisent l’espérance de vie, mais les brésiliens sont charmants et l’on ne ressent que de la joie de vivre. La Caipirinha se laisse boire. Le rythme se prend vite. La mauvaise variété et la techno  ont remplacé la Samba dans les rues, mais on y danse encore nuit et jour.

Quelques premières idées reçues s’envolent : les brésiliens ne boivent que peu de café. Il est d’ailleurs toujours trop sucré. Victimes de la malbouffe, une grande majorité des brésiliennes sont obèses. Les gamins ne passent pas leur temps à jouer au football. Le Brésil semble sortir de ces stéréotypes.

Travaux de maintenance sur le bateau. Les jours s’écoulent lentement entre chaleur du jour et fraicheur du soir.  Couchers de soleil sur le fleuve, couleur pastel, douceur du fleuve et d’un sax qui nous gratifie chaque soir d’un Boléro de Ravel, contrastent avec le passage de quelques yachts à moteur qui diffusent une musique tonitruante. Les brésiliens ont besoin de bruit, mais ils me font sourire et tout est beau malgré tout.

Le brésil est un continent. Vouloir visiter Rio, c’est un peu comme débarquer à Brest et vouloir visiter Moscou. Je renonce d’emblée à vouloir aller trop loin. Je souhaite par ailleurs éviter, autant que faire se peut les grandes métropoles. Nous passerons tout de même à Récife et à Olinda.

Olinda, ancienne capitale du Pernambuco, est aujourd’hui une charmante petite ville perché sur des hauteurs d’où l’on aperçoit la ville de Récife menaçante.



                                        Récife vue d’Olinda





Une transat sous le signe du pot au noir

7 décembre : Départ pour le Brésil.

Nous avons fait vite, très vite, pour parcourir les 1300 miles qui nous séparaient du Brésil en alignant des journées de 120, voire 130 miles nautiques. Il faut dire que cette traversée n’a ressemblé en rien à une transat des alizés vers les Antilles. Nous avons rencontré le pot au noir, ses orages et ses rafales dès le deuxième jour.


                                       Le pot au noir


Puis nous avons eu droit à neuf jours de vent de sud-est nous obligeant à naviguer voilure réduite contre le vent et la mer. Des calmes, que nenni !

Atterrissage après douze jours à Fernando de Noronha : Grandiose ! Le Morro do Pico, bien sûr, ce masque gigantesque qui semble être l’œuvre d’une sombre inspiration de la nature, la houle aussi qui ne cesse de déferler inlassablement sur des plages d’une beauté exceptionnelle.
Lorsque nous arrivons dans la baie de San Antonio, la goélette de Magnus, partie de Praia deux jours avant nous est là. Ils sont arrivés dans la nuit.



  La goélette de Magnus au pied du Morro do Pico


Fernando de Noronha est un lieu protégé de reproduction des dauphins, des tortues de mer et de centaines d’autres espèces animales. Nous n’y resterons que peu de temps car la taxe touristique y est très élevée. Tout est d’ailleurs extrêmement cher à Fernando. Dommage. Nous regretterons cette petite case sur la plage entre hibiscus et cocotiers...

                         Laura dans les vagues de Fernando

Deux jours ensuite pour rejoindre le continent. Encore deux jours de près contre vent et courant, mais nous serons sur le rio Paraiba pour le soir de Noel. Comme à Fernando, nous arrivons sans carte de détail.





                                                     


Petite escale au Cap Vert :

Traversée sans souci sur le Cap vert.

Nous mouillons à Praia où nous retrouverons Opal, la goélette de Magnus.

L’île de Santiago, ce n’est plus tout à fait l’Afrique même si, par moment, on pourrait se croire à Sao Tomé. Magnifiques Serra, palmeraies, plantations agricoles diverses (Canne à sucre, bananes), les paysages sont extrêmement variés. De Ribeira Grande, première ville coloniale construite par les Européens sous les tropiques, et rebaptisée Cidade Velha à la fin du XVIIIème siècle, à Tarrafal où se trouvait un camp de sinistre réputation  (fermé en 1974 suite à la révolution des œillets), en passant par ‘’Rabelarte’’, le village des artistes rebelles qui vivent en marge de la civilisation, il y a beaucoup à voir et nous regrettons déjà le temps précieux que nous avons perdu aux Maroc et aux Canaries lorsque les conditions météo n’étaient pas satisfaisantes. Il nous aurait fallu beaucoup plus de temps pour visiter d’autres îles de l’archipel. Pourquoi n’ai-je pas retardé notre départ pour le Brésil ? Météo, quand tu nous tiens !  


                                               Petites filles sur la plage de Cidade Vehla
Le fleuve Sénégal et Saint Louis

Nous souhaitions faire escale à Saint Louis du Sénégal, mais je n’étais pas sûr que nous puissions y accéder avec notre tirant d’eau. Je savais qu’une grande langue de terre d’environ 20 MN dénommée Langue de Barbarie séparait la mer du fleuve Sénégal et j’imaginais que la mer devait déferler en rouleaux tout au long de cette côte. L’embouchure était elle praticable pour un voilier calant 1,80 m ? Les Instructions Nautiques m’apprirent que la passe d’entrée du fleuve se déplace lentement et régulièrement vers le sud et qu’elle est toujours encombrée par une barre, laquelle est impraticable à cause de la violence des brisants pendant environ quatre vingt jours chaque année. La hauteur d’eau sur la barre atteint environ 4 m en juin - juillet  mais n’excède que rarement les 2 m en septembre. La période la plus favorable pour franchir la barre se situe entre avril et décembre. Nous voilà partis..

Le 12 novembre à 19h00, sept jours après que nous ayons quitté le mouillage d'Arguineguin, le Bonaventure est au pied du pont Faidherbe, sur le fleuve Sénégal, à deux pas de la ville de Saint Louis.

Grand moment d'émotion que le passage de la barre pour entrer à marée basse contre un courant de 4 nœuds. Il n’y a pas de balisage et les Instructions Nautiques sont fausses. La carte du Shom est également fausse. En effet, la passe de Gandiole s'est totalement envasée depuis sept ans et il faut maintenant passer la barre cinq miles nautiques plus au nord, là où une ouverture avait été réalisée en 2003 pour éviter l’inondation de la ville de St Louis.
Pas de VHF à la capitainerie ! C’est l’Afrique... Heureusement, le capitaine Ndiaye est sorti pour nous accueillir en amont de la barre. Nous avions son numéro de téléphone mobile.

Celui qui veut entrer dans le fleuve Sénégal a tout intérêt à se faire guider par un pratique, sinon il devra y aller au culot en surfant de biais sur les rouleaux ou en les esquivant et surtout en évitant les bancs de sable juste en amont dans le fleuve. Inutile de s’en remettre à la couleur de l’eau. Elle est trompeuse. Il a ensuite intérêt à avoir un bon moulin pour étaler le courant de marée. Il a enfin tout intérêt à disposer d’un bon mouillage. Je conseille d’empenneler deux ancres.

Emotion encore, ces magnifiques pirogues sénégalaises, ces bâtiments qui datent de l'époque coloniale, ces sourires et ces hanches qui se déhanchent: Fête à chaque coin de rue, dans chaque bar, partout !

Emotion enfin d'être le seul voilier entré dans le fleuve depuis peut être des années.

Le voyage commence !

                                               Le fleuve Sénégal


Quelques années plus tard, la lecture d'un récit de voyage de Paul Claverie datant de 1899 m'apprendra que le problème de l'embouchure n'est pas vraiment nouveau. Je cite: ''Généralement, les fleuves se jettent à la mer par des embouchures, et même de belles embouchures, quand ce sont des fleuves de longueur et de largeur aussi respectables que le Sénégal. Or, depuis un mois, le fleuve nous a joué cette farce désagréable de se supprimer son embouchure. Le Sénégal, né malin, s'est un beau jour bouché, ensablé, fermé, et aucun navire, depuis un mois, ne peut entrer ni sortir. Tous les jours, on sonde et resonde, le résultat ne varie pas. Non seulement le Sénégal ne se débouche pas, mais il paraît vouloir se creuser une sortie dans un ancien lit près de Saint Louis: La chose peut durer longtemps. Le commerce est complètement arrêté, et cette petite facétie pourrait bien coûter près d'un million aux négotiants de Saint Louis, si peu qu'elle se prolonge encore. Là est une des causes de la décadence prochaine de Saint Louis, en tant que port de mer, au profit de Dakar...'' 

Déplacement du bateau à l’hydrobase. Nous voilà au rythme du fleuve à couple d’un ancien garde côte de l'armée allemande d’environ 100 pieds de long, reconvertie en station de désalinisation itinérante.  Trois ans que le bateau est là, en standby par manque de licence, de financement et d’idée. L’équipage, bon voisinage, semble à l’abandon. Ils sont entre trois et cinq à vivre régulièrement à bord. Le chef mécanicien, moitié cubain, moitié espagnol, se demande combien de temps va durer cette attente. Un homme à tout faire, mais qui manifestement, ne trouve rien d'interessant à faire, squatte le bateau depuis que sa femme l’a foutu dehors. Un autre sénégalais fait office de gardien. Le capitaine, lui aussi de nationalité cubaine, dispose de deux superbes moteur MTU, des V16 de 1500 CV, qui ne tournent pas par manque de gasoil. Ces bonhommes passent leur journée à fumer des joints. Ils sont en train d’assécher mon stock de papier à rouler. Dommage de laisser à l'abandon une si belle machine qui peut produire 18 000 litres d'eau douce par jour, naviguer entre 15 et 20 nds avec une autonomie de 40 000 litres de carburant et de surcroît transporter quelques containers...
A deux pas de là, il y a des paillotes, des petits campements, Marie qui prépare les dîners sur de grands plateaux, des gamins qui jouent du Djembe en fumant de l’herbe et un hôtel où se trouve le consulat de Belgique. Nous y prenons des bières pour recharger nos batteries sur le 220V du bar. Les journées trainent en longueur. Les pêcheurs mettent leurs filets au sec en chantant et en dansant. Elimane garde le bateau quand on s’absente.
Promenade sur la plage au coucher du soleil. Il faut regarder où l’on met les pieds. C’est la Tabaski et la mer a ramené tous les boyaux de mouton que la ville a rejetés. Ce soir l’harmattan souffle.

Le fleuve est sage. Nous sommes allés jusqu’au phare de Gandiole en pirogue pour admirer les pélicans, surprendre des aigrettes blanches et quelques grises aussi et puis voir les hérons. J’entends la mer gronder de l’autre coté de la langue de Barbarie.



Un départ au ralenti, une longue mise en route..

31 octobre 2009: Départ de Bizerte. Nous sommes quatre à bord. Bob et Guillaume ont bien voulu se joindre à moi pour cette traversée hivernale et je suis heureux que mon fils, Edgar, soit aussi du voyage. Content également de quitter ce pays où il me semble avoir perdu beaucoup  trop de temps.

24h00 pour atteindre la Sardaigne, la charmante petite baie de Villasimius tout d’abord, puis Santa Maria de Navarrese à 2 miles au nord d’Arbatax, puis Golfo Aranci où nous débarquons nos équipiers pour rester seuls, mon fils et moi.  Cinq jours tranquilles de cabotage en Corse, puis nous arrivons à l’Ile d’Elbe où nous passons  d’excellents moments. 

Mi novembre, je me rends, seul, sur Livorno car Edgar est parti sur Paris pour un entretien d’embauche. De cette navigation au mois de novembre en Méditerranée, je retiens qu’il est exclus de naviguer en solitaire sans pilote ou sans régulateur d’allure. Par vent établi et mer formée, il est difficile de quitter la barre pour se pencher sur la table à carte. Tout juste est il possible de ‘’se soulager’’ de temps à autre. Par ailleurs, une timonerie intérieure apporterait beaucoup de confort en hiver. Sans pilote et/ou sans une timonerie bien protégée, la navigation par bonne brise hivernale devient vite un calvaire. Elle est à la portée de tous pendant une douzaine d’heures, mais au-delà, cela devient vraiment dur.

A nouveau, huit jours de mer en duo avec Edgar.
Porquerolles, La Ciotat, Sausset les pins, Port St Louis du Rhône, autant d’endroits que je connais déjà par cœur, mais je ne me lasse pas d’être avec mon fils.


Edgar
Après toute une journée passée dans la brise d’hiver, après qu’une à une, chaque vague ait été négociée, quel bonheur d’être le soir à l’abri, dans la lumière chaude d’une lampe à pétrole.

Décembre, Golfe du Lion. Inutile de garder trop de toile. Au-delà de la force 5, un bateau ne progressera pas plus vite. Mieux vaut réduire rapidement pour ne pas fatiguer le gréement et l’équipage. Il faudra toutefois garder de la puissance si la houle est importante ou si la mer du vent s’oppose à la houle. 

Le 6 décembre en début de soirée, nous sommes amarrés à Gruissan. Nous n’avons eu aucun problème technique au cours de ce petit voyage si ce n’est une légère déchirure de la GV que nous avons vite réparée à Port St Louis du Rhône. 

Quelques mois s’écoulent à la campagne et puis nous revoilà, fin août 2010, Laura, Laurence et moi-même à bord du Bonaventure. Cette fois, c’est un grand départ.

Nous quittons Gruissan le 20 août à 6h00 du matin dans le brouillard. Premier objectif : Passer le Cap Bear au plus vite tant que les conditions sont bonnes. Connu pour être, avec le Cap Corse, l’un des deux endroits les plus venteux de Méditerranée, le Cap Béar me fait peur. Les conditions peuvent y être très dures. La tramontane y souffle plus de 300 jours par an, avec des pointes régulières à 130 km/h, sans parler des coups de Marin.

Route sans problème sur Cadaquès. Mer agitée jusqu’à Minorque. C’est Laurence qui fait le gros du boulot. Quelques brèves escales, notamment dans la calanque de Covas. L’endroit pourrait être magique mais nous sommes encore au mois d’août…Trop de gens, trop d’immondices et de surcroît, trop de méduses.

Nous longeons ensuite la côte odieusement bétonnée de la Costa Del Sol. Peu de vent et beaucoup de navigation au moteur... Tout ce que j’aime !

Maroc :

Début septembre, nous sommes à Tanger. Plaisir de retrouver cette ville chargée de tant de souvenirs et d’escaliers tortueux. C’est avec un œil attendri que je parcours les ruelles en pente raide qui depuis le port me permettent d’atteindre la place de France. Je rejoins ensuite le ‘’Petit Socco’’ où je m’attarde à une terrasse de café.


Le port de Tanger
     
  Mi septembre, départ de Tanger : Nous avons une mer forte avec 30 noeuds de vent au cap Spartel, cette impressionnante falaise de 300 mètres de haut, lieu de séparation entre la très nerveuse Méditerranée et l’océan Atlantique, plus mûr, plus prévisible. Nous passons avec Yankee seul sur l’avant.   

Passé le cap Spartel, la mer sera belle jusqu’à Rabat. Une marina s’est construite sur le Bouregreg entre Rabat et Salé. L’entrée n’est possible que par temps établi. Un pilote vient vous guider si la mer ne déferle pas trop. L’endroit manque de charme, mais nous sommes au pied de la kasbah des Oudaïa, à deux pas de la rue des Consuls, couverte d’un treillis de roseaux. Les filles s’y attardent car jusqu’à la rue Souk-es- Sebat, nous sommes dans le fief des artisans maroquiniers, bijoutiers, marchands de tissus, et autres antiquaires. De l’autre coté du port, se trouve la ville fortifiée de Salé. C’est là que nous faisons nos courses et faisons effectuer quelques travaux (réparation du récepteur radio, travaux de couture etc). Le soir, nous promenons le chien le long du Bouregreg ou sur une petite plage au sud de la rivière, à proximité du cimetière marin parsemé de marabouts. 
   Nous visitons quelques amis à Casablanca et à Rabat. Laura retrouve Duccio, avec qui elle était à l’école en Tunisie et Ilyes qu’elle avait connu quelques années plus tôt au Maroc. Les parents, aussi, sont contents de se retrouver.

Laurence et moi-même profitons de ce que la météo n’est pas bonne pour  retourner à Tanger car le hasard a voulu que nous soyons là pour le Tanjazz festival. Beaucoup de blues cette année !

A Rabat, je fais la connaissance de Magnus , le fils du propriétaire d’Opal, une goélette de 24 m, construite en 1952. Ils sont quatorze jeunes à bord. Ca ne peut pas ne pas me faire rêver.

Nous restons bloqués quelques temps encore à Rabat car, dehors, la mer reste très forte. Laura s’installe chez ses copains à Casablanca et nous en profitons pour nous offrir quelques jours de randonnée dans le Moyen Atlas. Air sain, abondance d’eau. Jardins d’Eden…Retour par la route. Station service du bout du monde, unique point d’ombre dans le désert de pierres. Attente. Chapeau de paille de rigueur. Ambiance western.  

La pollution nous attend à Casa, puis c’est de nouveau l’attente d’une fenêtre météo à Rabat. J’ai hâte de retrouver des latitudes plus clémentes. 

Passage à Safi, un port comme je les aime, c’est à dire un vrai port de pêche et non une marina-parking. Si vous devez longer la côte marocaine, c’est là qu’il faut vous arrêter. Safi est un port sardinier qui sent bon la sardine. Safi est en outre le centre de fabrication de céramique le plus intéressant du Maroc. Laurence et Laura retourne sur la colline des potiers. Je croise les doigts pour qu’elles ne ramènent pas de la vaisselle à bord.

Nous partons ensuite sur Essaouira, là où le vent chasse les mauvais esprits. Le port de pêche est resté fidèle à lui-même et l’on continue d’y construire d’imposant bateaux de pêche en bois, mais la ville est en train de virer franchement ‘’nouveaux riches’’. On parle d’une future marina qui, à n’en pas douter,  tuerait l’âme de la ville.


                                   Essaouira

Canaries :

Mi octobre : Nous sommes enfin aux Canaries. Pendant plusieurs heures, j’ai vu se dessiner, une à une, les îles sur l’horizon. Emouvant…Nous choisissons de mouiller dans la baie del Salado au sud de Graciosa. Magnifique ! Laurence est heureuse, donc moi aussi. Nous nous payons une petite ballade jusqu’au cratère. Je ramasse des fleurs de souffre et autres cailloux.

Dans la nuit, nous sommes rejoints par Bella Ciao, un magnifique catamaran rencontré pour la première fois à Rabat et qui nous avait précédés à Essaouira. Nous retrouvons également Opal, la goélette danoise et son jeune équipage.

Nous repartons au petit matin sur Arrecife et mouillons dans le vieux port. 

Mauvais temps sur les Canaries. Les coups de vent se succèdent et la mer est forte. Nous en profitons pour nous offrir une excursion au Timanfaya. J’ai toujours adoré les volcans et je ne suis pas déçu de ce que je vois. Pendant six ans, de 1730 à 1736, des centaines de cratères en éruptions ont recouvert l’île de 8 millions de m3 de lave. On accède au parc national par une route goudronnée à partir de laquelle il est possible de suivre un circuit de 14 kms en autocar. Il est dommage que l’on ne puisse pas mettre le pied à terre, mais la visite n’en est pas moins intéressante.


Le Timanfaya


                 Las Palmas : Je savais bien que Las Palmas ne serait qu’une station service sur l’autoroute des Caraïbes, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi peu festif. Las Palmas, c’est l’apogée de la plaisance avec l’ARC (Atlantic Rallye for Cruisers) et sa légion de retraités. Le couvre feu est de rigueur. Les journées sont rythmées par quelques ‘’bonjour’’, ‘’hello’’, ‘’Ola’’ de bon aloi. Je m’ennuie. De surcroît, nous avons perdu notre chien d’une façon assez ‘’douteuse’’. Il aurait été ramené à la police qui, après avoir nié qu’une dame le leur ait confié, a fini par reconnaître (la dame avait photographié le chien devant le poste de police) qu’il était bien là, mais, aux dires de ces mêmes policiers, Jetty (c'est le nom de notre chien) se serait échappé. Pas de trace de Jetty à la fourrière. De nombreuses personnes se mobilisent. Cela ne donne rien. La presse taille un short à la police sur une pleine page du journal local.  

Comme convenu avant notre départ, nous embarquons des vêtements d’enfants pour l’association ‘’Correos de la mar’’. Les livraisons sont prévues au Sénégal, au Cap Vert et au Brésil. Nous emportons également un gros sac de peluches pour les petits car c'est bientôt Noël. 

Constat à fin octobre : Je n’ai toujours pas l’impression d’être vraiment en voyage et j’ai vraiment hâte de repartir !