Bahia de tous les saints et de tous les péchés
Seize heures de car pour nous rendre à Salvador do Bahia, où nous serons présents pour le ‘’Lavagem do Bonfim’’, la plus grande fête religieuse de Bahia, celle de Jesus Oxala, une procession étrange illustrant le syncrétisme entre un catholicisme subi, puis accepté, et le Candomblé, héritage de l’Afrique.
Lavagem deo Bonfim
Etonnante cette procession mystique transformée en acte politique et de défiler derrière la bannière du parti des travailleurs. Toutes sortes d’associations sont présentes. On peut suivre un groupe de capoeristes ou de vieilles femmes qui dansent, qui ont sans doute toujours dansé et qui danserons jusqu’au bout. C’est la fête pour tous, à tous les âges et de toutes les couleurs. J’effleure…
Bahia est un concentré d’histoires, celles de ces aventuriers portugais du XVIème siècle, et celle, bien sûr, de l’esclavage qui fit que Bahia devint noire. Bientôt ce sera le Carnaval à Bahia, Bahia de tous les saints et de tous les péchés. Nous verrons….Nous reviendrons, en bateau cette fois.
Chapadia Diamentina
Sept heures de bus depuis Salvador. Il faut passer Lençois, aller jusqu’au petit bourg de Palmeiras et il ne reste plus alors que 20 kms de piste pour atteindre Vale do Capao. Quelques minibus, vieux pickup Ford ou Chevrolet font la navette. Il y a en fait assez peu de véhicules. Lorsqu’ils ne se font pas à pieds, les déplacements se font à l’arrière d’une mototaxi.
Vale do capao est un petit village au cœur du parc national de la Chapada Diamentina. L’électricité n’y est arrivée qu’en 1988. C’est à cette époque que sont venues s’installer quelques communautés de marginaux européens. Pour deux cent malheureux dollars, on pouvait alors faire l’acquisition d’un hectare de terre. Nombreux sont ceux qui bien sûr n’ont fait que passer mais certains sont restés, ont gardé un pied à terre ou continuent d’y venir de temps à autre. C’est ainsi que nous avons rencontré Denis, installé en bordure du Rio Rodas avec, depuis la chambre de sa petite demeure, une vue imprenable sur le Morro Branco. A Vale do Capao, il y a bien sûr quelques familles paysannes, des artisans, mais c’est le tourisme qui est devenu la principale source de revenu du village, même si la clientèle n’est encore principalement constituée que de hippies et de rastas. Tous ne sont pas démunis et les pousadas fleurissent. En parallèle, la vie culturelle y est très riche. Un français a créé une école de cirque. Laura y suivra des cours. Nous avons également assisté à un petit festival de jazz. Vila do Capao est un village vraiment très agréable. La population est suffisamment métissée pour que chacun puisse s’y sentir à sa place.
Nous profitons des dizaines de cours d’eau qui entourent le village. Rivières, cascades, piscines naturelles en veux tu en voilà.. Que c’est bon de lézarder à poil perchés sur des rochers.
Laurence & Eric
Au petit matin
Fin janvier, sommes de retour sur le rio Paraiba, concert de Manu Chao sur la plage, quelques bons moments, mais j’ai hâte de repartir sur Bahia, d’autant qu’un Super Maramu du rallye des îles du soleil nous rentre dedans par le travers à l’issue d’une manœuvre particulièrement peu soignée. Pas de dommage : Nous sommes en acier…
Début février : Enfin nous retrouvons le grand large. Il nous faudra cinq jours pour parcourir les 500 miles qui nous séparent de Salvador. Peu de vent (8 à 10 nds sur tout le parcours), un courant contraire jusqu’à Maceio et l’équipage s’impatiente. Le 8 février, nous y sommes enfin.
A Pier Salvador, nous retrouvons Davide que nous avions connu à Jacaré et qui navigue seul sur un petit bateau de 7,50 m. Courageux ! Mais très seul….
9 février : Retour à la Chapada Diamentina. Nous descendons chez Lars, un type tout à fait charmant, la simplicité et la gentillesse même.
A nouveau, nos journées s’enchaînent avec de longues ballades dans la nature. Laura va à l’école de cirque.
En explorant davantage les alentours, nous réalisons que la spéculation sur les terres a bel et bien démarrée. Pendant combien de temps encore les vieux hippies et les jeunes babs se sentiront ils chez eux ? Heureusement, les pistes sont étroites, les chemins non carrossables et peu de terrain sont encore viabilisés.
Nous profitons des rivières. L’eau est d’une couleur cuivrée tendant vers le rouge. C’est le résultat, paraît-il d’une plante qui s’y infuse. J’ai toutefois noté que des jeunes grattaient les pierres ferrugineuses pour en tirer des pigments et se faire des maquillages.
23 février : retour à Salvador. Je réarme le bateau.
Petit problème d’alignement de l’arbre d’hélice. Le temps de réparer, nous ratons une marée.
Remontée du rio Paraguaçu jusqu’à Sao Francisco: Si l’on aborde le rio à la marée montante, il ne faut que quelques heures pour atteindre Sao Francisco. Nous ne ferons qu’une courte halte en accostant le ponton d’une belle propriété privée. (Laurence a eu le culot de le faire. Je n’étais pas sûr qu’il y ait assez d’eau sous la quille).
Ici, comme partout ailleurs au Brésil, les contrastes sont forts. Hier, nous étions dans le mouillage le plus calme du monde, à quelques dizaines de mètres d’un petit port de pêche qui se trouve au sud de l’île ‘’Bom Jesus’’ dans la baie de Salvador. Les habitants y sont des gens simples et très pauvres qui vivent loin de la fureur de la ville, mais au sud de ce même mouillage, se trouvent quelques îlots privés, de belles villas et des méga yachts. Nous verrons même un hélicoptère s’y poser. Sur le rio Paraguaçu, les contrastes sont moins provocants car l’espace y est plus important, la nature omniprésente et l’on ne peut que se plier à ses lois en guettant la courbe du soleil et les heures de marées.
Mouillage de rêve dans 8 mètres d’eau, face au débarcadère d’un vieux monastère du 17ème siècle.
Bonaventure sur le Paraguaçu – Vue du monastère
Nous sommes seuls sur le rio qui vit au rythme des marées et de la pêche artisanale. Tout est calme cette après midi. Le temps s’est arrêté après que le soleil ait atteint son zénith et les familles de Sao Francisco sont maintenant, toutes entières, à l’ombre des maisonnettes qui bordent les quelques petites rues du village. La vie ne reprendra son cours qu’aux alentours de dix sept heures.
A Sao Francisco, nous avons vu des bœufs, quantité d’ânes et de chevaux, mais je n’ai dénombré que trois voitures. Pas de supermarché, juste quelques petits dépôts de pain, et autres aliments de première nécessité.
Nous passerons ensuite par Maragogipe, ville sans grand intérêt, mais qui a, paraît-il, un très beau marché le samedi. De là, nous nous rendrons à Sao Felix et Cachoeira, petites villes coloniales qui furent des centres d’exploitation de la canne à sucre et du tabac et dont les façades ont atteint un état de décrépitude avancé. Chaleur, indolence…J’achète quelques cigares.
De retour au bateau, nous repérons des ibis rouges en bordure de mangrove.
Une rue de Cahoeira
Retour dans la baie de Salvador. Nous mouillons en face de la marina d’Itaparica où se trouvent déjà une vingtaine de voiliers. Après plusieurs jours sur le rio, j’ai l’impression de me retrouver sur la côte d’azur. Cela étant l’endroit est agréable et nous y faisons quelques rencontres.
Laurence plonge pour nettoyer la carène, mais une mise à sec ne va pas tarder à s’imposer. Notre peinture s’en va et même les primaires sont très fatiguées.
Deux jours plus tard, nous sommes à Salvador pour le carnaval. Premier soir au Pelourinho. Ambiance bon enfant. Le lendemain, je suis saisi d’un mal de dos qui m’interdit tout déplacement et c’est tant mieux car Laurence et Laura qui sont allée festoyer au Barra, me reporteront une image très ‘’commerciale’’ de ce carnaval. Troisième soir, retournons au Pelourinho: Des fanfares, une bonne ambiance, mais finalement peu de costumes. Pour le carnaval de Salvador, les gens ne se déguisent pas. Ils défilent, boivent, et sont deux ou trois millions dans la rue. Il faut aimer les bains de foule…Ce n’est pas tout à fait mon cas.
9 mars : Denis que nous avions rencontré à Vale do Capao nous rejoint avec son amie Mirella. Nous quittons Pier Salvador de bonne heure le matin, voiles appuyées par un peu de moteur, puis voiles seules, belle journée de mer jusqu’à Morro do Sao Paulo où nous atterrissons dans l’après midi. Morro do S Paulo est trop touristique à notre goût. Nous finissons la soirée à bord et Denis chante Brassens.
Le 11 mars, nous retrouvons Davide au mouillage de Gamboa sur le rio Cairu. Davide nous fait rencontrer Véronique et Pierre, installés à Gamboa depuis deux ans et déjà fatigués d’être toujours pris pour des ‘’gringos’’. Nous passons la soirée ensemble et Pierre nous raconte ses aventures à bord d’un langoustier au début des années 90 : La mer rouge, Madagascar, Dar Es Salam, le trafic de vanille et de whisky, la chasse aux épaves…Pierre fut sans doute une sorte de Monfreid contemporain mais, il le dit aujourd’hui : ‘’la mondialisation et l’informatique ont rendus l’aventure difficile..’’
Nous décidons ensuite de faire route sur le canal d’Itaparica et de l’emprunter par le sud. ‘’Eileen of Avoca’’, le petit bateau de Davide nous ouvrira la route. Il ne cale qu’ 1,10 m et nous convenons donc qu’il passera en premier en nous indiquant les sondes par VHF. Nous arrivons à Catu, à 1 mile au nord de Cacha Prego, en fin de marée haute, marée d’équinoxe… Nous passons sans problème en laissant le gros des déferlantes sur notre tribord.
Deux jours plus tard, nous levons l’ancre à marée basse et amorçons la remontée du canal. A peine avons-nous démarré que nous touchons. J’avais bien repéré ce banc couvert d’un mètre quarante d’eau, mais j’avais oublié d’en parler à Laurence qui est à la barre. Pas grave, la marée monte et nous pouvons remettre en route après quelques minutes. Je décide tout de même de forcer le passage : 1,40 m, la barre est dure, la quille est dans la vase mais le bateau bouge ; 1,60 m nous labourons le fond ; 1,80 puis 2,00 m, puis 3,00. Nous sommes sortis. Une heure plus tard, nous passons sous le pont qui relie l’île Sao Gonçalo à Maria Meireles. Nous laissons ensuite sur notre tribord les îles do Matarandiba, do Cal, do Saraiba et nous arrivons à Itaparica en début d’après midi.
Nous sommes inquiets pour Daniel, en situation irrégulière, car nous avons appris que la douane et les agents de l’immigration ont effectués une descente quelques jours après notre départ d’Itaparica. Plusieurs bateaux auraient été mis sous scellés. Mais non, Daniel est là, tout sourire et sans la moindre inquiétude..
20 mars : Retour sur Pier Salvador. Nous décidons de naviguer de concert avec ‘’Eileen of Avoca’’ car Davide doit présenter une photo de son bateau à la presse. Nous traversons la baie de Salvador par bonne brise et faisons quelques photos les uns des autres..
Eileen of Avoca
Nous sommes passés au bon moment car la nuit et le jour suivant le temps se dégrade : Rafales et pluies se succèdent. Le 21 mars, le vent souffle grand frais. Dehors la mer est forte. Nous en profitons pour faire un grand ménage. Les jours suivants nous rappellent que la saison des pluies commence.
Nous étions inquiets pour Daniel, mais c’est Gérard et une douzaine d’autres bateaux, principalement français, qui se sont fait épingler. Gérard doit payer seize milles réals. Je lui conseille de ‘’disparaître’’ dès que la mer sera plus calme. C’est ce qu’il fera.
Nous passons quelques soirées au Pelourinho. Petites rues charmantes, rencontres non moins charmantes, mais la misère des enfants des rues me prend à la gorge.
Toujours à Salvador.
Nous ne pouvons plus ne plus voir les ravages occasionnés par le crack, ces petits mômes de dix ou douze ans sortis des favelas qui jouxtent le Pelourinho et qui survivent dans la rue, livrés à eux-mêmes et à leur dépendance, ces jeunes filles aux yeux injectés de sang qui mendient de la nourriture pour la revendre. A cinq réals la dose, soit à peu près deux euros, il n’est pas difficile d’imaginer que l’enfer soit accessible aux plus jeunes. La plupart d’entre eux n’ont connu que la violence depuis leur plus jeune âge. Leur espérance de vie n’est que de vingt ans environ, s’ils ne se font pas buter avant.
Dans sa lettre ouverte contre la torture, Roger Beeckmans, réalisateur et grand reporter, parle de cette misère insoutenable. Nous avons, nous aussi, vu les enfants fouiller les poubelles et boire l’eau des caniveaux, mais Roger Beeckmans va plus loin lorsqu’il évoque certains cas de torture et de mort violente. ‘’Des enfants m’ont raconté, malgré la peur des représailles, comment les policiers les avaient emmenés dans des terrains vagues, les avaient violés et torturés. J’ai vu les photos d’un adolescent plongé dans un bain d’acide lors d’une séance de torture dirigée par un policier promu ensuite à un grade supérieur’’
Notre fille, Laura, a pu constater la misère de ces enfants des rues. Elle avait réalisé un excellent reportage sur les enfants talibés mendiants au Sénégal, mais quand bien même parlerait-elle portugais, je vois difficilement comment nous aurions pu l’inviter à faire un travail similaire au Brésil tant l’horreur de la situation flirte avec l’invraisemblable. Il ne s’agit plus de quelques centaines d’enfants embrigadés par des marabouts sans scrupule, mais de centaines de milliers (on parle de plusieurs millions) de petits gosses victimes de tous les maux : Misère, violence, drogues dures, violence encore dans le cycle infernal de la survie. C’est toute une génération qui est sacrifiée.
Personne n’osera contester les effets positifs de la politique sociale du Président Lula. La « bourse-famille » a permis à plusieurs dizaines de millions de brésiliens d’échapper à la pauvreté absolue, mais la lutte est inégale si l’on considère que le nombre de consommateur de crack a doublé en moins de cinq ans au Brésil engendrant toujours plus de violence et de détresse.
Que pourra faire Dilma Rousseff ? Personne n’en sait rien, mais lorsqu’il s’est agi de fêter sa victoire, elle a déclaré : ‘’ Nous ne pouvons rester les bras croisés pendant que les Brésiliens ont faim, que les familles vivent dans les rues, que les enfants pauvres sont abandonnés à leur sort et que le crack fait la loi’’.