mercredi 27 février 2013

Jamaica

44h00 de mer, c’est le temps qu’il nous aura fallu pour parcourir les 160 Milles Nautiques qui séparent Haïti de la Jamaïque. Autant dire que nous n’avons pas réalisé un record de vitesse. A notre décharge, le vent était bien faible, de l’ordre de 5 à 10 nœuds, parfois un peu plus, guère plus. Ce vent faible était accompagné d’une longue houle nous arrivant du Sud-Est de la mer des Caraïbes. Cette houle aurait pu nous porter, mais les creux étaient si profonds que le bateau perdait de sa vigueur entre chaque vague. Nous faisions du sur place. A mi-chemin, nous avons rencontré la houle du ‘’Windward Passage’’ nous arrivant du Nord-Est. Pendant quelques heures, les deux houles se jaugèrent et nous ne savions pas laquelle des deux se montrerait la plus forte. Le fait est que ces deux houles se croisaient sur l’arrière du bateau rendant notre navigation inconfortable. C’est finalement la houle de Nord-Est qui vint à bout de sa concurrente, l’étouffa peu à peu et nous aurait rendu la vie plus facile si le vent n’en avait pas profité pour tomber complètement. Seul point positif à ce tableau, notre faible vitesse permit à Igor de pêcher deux beaux thazards (une sorte de barracuda appelé ‘’King Fish’’). L’un d’entre eux fut accommodé pour le repas du soir. Nous fîmes cadeau du second.




En termes de rythme, les formalités d’entrée en Jamaïque furent à peu près similaires à la navigation que nous venions d’effectuer : Sans danger mais très longues..Quatre administrations se succédèrent à bord avant que nous ne puissions débarquer : Celle de la santé, typiquement anglo-saxonne, qui s’inquiéta que nous ne soyons pas tous vaccinés contre la malaria ; Celle de la police, venue en force, qui fouilla le bateau de fond en comble en donnant la preuve que ses agents n’ont pas la moindre idée de la manière dont est organisé un voilier habitable ; Celle plus formaliste de la douane à qui je dus déclarer chaque fond de bouteille d’alcool entamée. L'officier des douanes ne goûta que peu la présence à notre bord d'un rastaman qui avait ''enfumé'' l'ensemble du carré ; Celle enfin de l’immigration qui tamponna nos passeports. Bloqués à bord le temps de toutes ces fastidieuses formalités, nous fûmes les proies consentantes de quelques rastas qui venaient nous offrir leurs services avec, parfois, une lourde insistance qui n’avait rien de rastafarienne, pas plus que rastafarienne était leur agressivité lorsqu’ils se chamaillaient entre eux pour savoir auquel d’entre eux nous appartenions. On a beau voyager souvent dans les pays pauvres, on ne s’habitue jamais totalement à l’idée de n’être qu’une marchandise, un client involontaire, un compte en banque ambulant, et il est particulièrement désagréable de se voir chaleureusement accueilli par des gens qui ne mettent pas plus de quelques secondes pour vous taper la première cigarette, moins de quelques minutes pour vous demander de l’argent et s’étonner de votre refus, pas davantage de temps pour vous proposer toute sorte de marchandises ou de services dont vous ne voulez surtout pas.

Fatigue oblige, notre première soirée fut courte malgré les nombreuses sollicitations et nous rentrâmes à bord vers deux heures du matin un peu déçus que le ‘’Sound system’’ qui nous avait été annoncé ait été une soirée façon boîte de nuit sans grand intérêt. Il était temps car je n’avais pas dormi depuis 24h00.

En guise de première escapade à l’intérieur des terres, nous nous rendons au cœur de ‘’Blue Mountain’’, haut lieu de production du café. Au départ, nous avons l’impression d’être revenu en Dominique tant la végétation est dense et le ciel pluvieux. En réalité, la montagne est un peu plus escarpée qu’en Dominique et si la végétation parait moins hospitalière dans la vallée, nous réalisons, au fur et à mesure de notre progression, que la nature est tout de même moins prolifique que dans la petite île antillaise qui nous avait enchantés. Il semblerait que la culture du café ait rendue la vie difficile aux autres plantes.  Nous trouvons refuge à ‘’Mount Edge’’, un charmant guest house dont les prix sont un peu plus raisonnables qu’ailleurs et le service de très bonne qualité (Vue splendide sur la montagne jusqu’à la côte sud – Kingston ; Bonne cuisine et bon vin). Nous passons une partie de la soirée avec nos hôtes qui ont, parait-il, produit, il y a déjà fort longtemps, nombre de stars du reggae, mais la mégalomanie de Michael, sa vénération du paraître et son comportement autoritariste vis-à-vis du petit personnel le rendent tout à fait imbuvable. Nous nous éclipsons avant de devenir désagréables.

Au-delà de ce cas un peu particulier, force est de constater, après quelques jours de présence en Jamaïque, que les relations humaines n’y sont pas du tout ce que nous pouvions en espérer. Les gens, dans leur ensemble, sont agressifs et la pauvreté ne les a pas rendus solidaires comme c’est souvent le cas dans les pays les plus démunis. Nous n’avons pas retrouvé la gentillesse des dominicains ou celle des habitants de Grenade. La culture américaine est omniprésente. Toutes les relations s’articulent autour de l’argent et, ce qui n’arrange rien, tout est hors de prix en Jamaïque.

Nous nous rendons ensuite à ‘’Mount Zion Hill’’ rebaptisé ‘’School of vision’’. C’est à cet endroit que s’est établie, il y a un peu plus de quinze ans, une communauté de fermiers rastas. Elle est constituée d’une vingtaine de familles, a sa propre école et son propre temple. A l’opposé des nombreuses sectes religieuses de tout type que l’on trouve en Jamaïque, (Il y a une église à chaque coin de rue), les adeptes de ‘’School of vision’’ sont des modérés qui se réfèrent en permanence à la bible et notamment à l’ancien testament. Ils considèrent toutefois Hailé Sélassié comme le premier messie noir. Nous sommes chaleureusement conviés à revenir le samedi suivant pour assister au ‘’Nyabinghi Sabbath Service’’. Ce court passage à Mount Zion Hill nous rassure un peu quant à l’état d’esprit général qui règne en Jamaïque.


La petite école de School of vision

Sur le chemin du retour, nous traversons un camp militaire. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’un contingent de soldats payés par la reine d’Angleterre pour assurer la protection de ses plantations de café. L’héritage colonial est palpable en Jamaïque. Les plus belles propriétés appartiennent à des blancs qui sont présents dans l’île depuis le XVIIIème siècle. La présence de nombreux coolies à tous les postes de responsabilité contribue également au clivage de la société entre les noirs d’origine africaine et les autres (blancs d’origine britannique en premier lieu). Nous entendrons même des enfants crier à notre passage : ‘’Fucking white’’

Le 7 février, nous sommes de retour à Port Antonio ; Guillaume nous quitte le lendemain. Nous faisons les pleins d’eau et de gasoil en vue de notre voyage jusqu’à Montego Bay, 100 milles nautiques plus à l’ouest.
La côte nord de la Jamaïque est montagneuse et verte. Sur le premier tiers du parcours, elle est presque vierge. À partir d’Ocho Rios, les complexes touristiques se multiplient. Ce besoin qu’ont les hommes de bétonner les bords de mer.. ! Nous sommes en panne de vent et notre première journée de navigation se fait entièrement au moteur. Nous décidons, avant le coucher du soleil, de nous poser dans la petite baie d’Oracabessa. Il s’agit d’un petit port naturel tout à fait charmant et calme, protégé par un goulot d’entrée très étroit. A terre, un petit village de pêcheur. De part et d’autre, des propriétés appartenant au richissime producteur Chris Blackwell ou ayant appartenu à Ian Fleming, le créateur de James Bond. Nous décidons de ne pas mettre les pieds à terre. Avec un jeune pêcheur venu à notre rencontre, nous nous amusons de la présence d’un petit requin qui chasse autour du Bonaventure. A 5h00 du matin, nous reprenons notre route vers l’ouest et finissons par toucher une petite brise qui nous accompagne jusqu’à Montego Bay, la deuxième ville du pays, la plus touristique également. Au petit matin, le vent se lève et nos ancres dérapent.   
                Formalités de sortie rapidement achevées, nous reprenons notre route vers l’ouest. Bonne brise sur les 15 NM qui nous séparent du dernier mouillage prévu sur le parcours : Lucea. Un rapide coup d’œil à la jumelle nous dissuade de nous rendre à terre en laissant le bateau seul au mouillage. C’est la zone...
            Le lendemain matin, 12 février, nous quittons Lucea et la Jamaïque. Dix jours se sont écoulés depuis notre arrivée à Errol Flynn marina, mais nous n’aurons passé que six jours à terre dont seulement la moitié à l’intérieur des terres. Le peu que nous ayons vu sur la côte ne nous a pas enchantés. Faute de temps et d’un moyen de locomotion adapté, nous serons certainement passés à coté de quelque chose, mais  c’est  surtout le coût de la vie exorbitant qui nous a fait fuir la Jamaïque. Nous quittons ce pays sans regret.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire