mardi 7 février 2012

Le voyage, l'aventure...Le bateau

Le voyage, l’aventure
(Ce que j’en disais, il y a un peu plus d’un an)


Le voyage ne devrait pas simplement consister à se rendre d’un point à un autre en un laps de temps plus ou moins défini. On partirait, on verrait du pays et l’on s’en retournerait. Le voyage, ce ne serait pas la croisière, ce ne serait pas le tourisme non plus, cette ‘’industrie des étrangers’’, expression qu’utilisa Ladislas Mysyrowicz à la fin du XIXème siècle et qui fut reprise par Edmonde Charles-Roux dans son ouvrage ‘’Désir d’Orient’’ consacré à la jeunesse d’Isabelle Eberhardt.
Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le voyage reste une aventure longue et risquée. Dans la seconde moitié du siècle, le voyage sera avant tout une entreprise coûteuse réservée à une élite d’aristocrate et d’artistes romantiques. Ils voyagent à bord de paquebots de luxe et vont à la rencontre de leurs propres fantasmes. Ce sont des voyages initiatiques ou littéraires, la grande époque des orientalistes. Cette clientèle aura bien sûr du mal à admettre le développement des premiers voyages organisés lorsque les moyens de transport évolueront. L’esprit du voyage change car  l’arrivée des nouveaux riches pose un problème à l’élite. On ne veut pas se mélanger. Il est alors impératif de créer une distance sociale entre le voyageur d’une part et le touriste d’autre part.
La notion de  voyage continuera d’évoluer après la guerre. Elle prit une dimension toute particulière avec l’avènement de la Beat Generation dans les années 50 et 60, après que Jack Kérouac eut écrit son livre mythique ‘’Sur la route’’. Plusieurs générations de jeunes occidentaux, toutes classes sociales confondues, vivront alors le voyage comme une quête de soi, à la recherche de nouvelles expériences. Ces voyages se feront principalement par bus ou en auto-stop. Mais dans le même temps, le voyage organisé continue à drainer de plus en plus de touristes. A partir des années 70,  le tourisme est progressivement devenu le tourisme de masse tel que nous le connaissons aujourd’hui, véhiculant à longueur d’années les classes moyennes aux quatre coins du monde.
Après qu’ils aient été passablement pillés (et parfois sauvés d'une disparition définitive..), moins d’ailleurs par les touristes que par nos musées nationaux ou par toutes sortes d’aventuriers collectionneurs et affairistes, les sites archéologiques seront protégés. Il reste toutefois quelques villes anciennes sans clôture et sans circuit fléché. Lors de mon passage à Leptis Magna, le tracé des voies était encore clairement perceptible sous une couverture de sable. A Palmyre, il en était de même. Les ouvrages d’irrigation nous rappelaient que ce fut une oasis sur la route des caravanes qui d’Asie centrale, d’Inde ou de Chine véhiculait les étoffes, les pierres précieuses et les essences. Aujourd’hui les troupeaux de mouton y sont libres et les mobylettes passent. Cette liberté de circuler ne trouble en rien la magnificence des lieux. (Il en ira différemment quelques années plus tard après le conflit syrien..)
Si les sites archéologiques sont maintenant surveillés, la nature, elle, ne l’est pas ou bien peu. On protège les Galapagos mais, dans le même temps, on bétonne massivement les bords de mer et les montagnes. Quant aux populations locales, on les ignore et, dans le meilleur des cas, elles comprennent rapidement d’elles mêmes, tout l’intérêt qu’il y a à singer leur propre culture et à l’aseptiser pour mieux la vendre.
Bien sûr, la question pourrait se poser de savoir qui du voyageur mondain de l’aristocratie du siècle dernier ou du touriste de la classe moyenne d'aujourd’hui aura fait le plus de dégâts. Il y avait certainement une grande part de maladresse dans la manière d’aborder le ‘’bon sauvage’’, mais les voyageurs d’antan étaient moins nombreux, moins massivement consommateurs et donc moins nocifs.  
Edmonde Charles-Roux  en remet une couche : ‘’Les touristes, cette plaie ! L’Orient-Express ouvrait à une bande de trouble-fête des régions jusque-là réservées à quelques voyageurs épris d’aventure’’. Les choses ont bien sûr empiré. Olivier Kersauson dénonce ‘’l’absolutisme  des tour-operators…ces prédicateurs du voyage à bas prix et les missels en papier glacé avec palmiers, etc’’. 
Le voyage, nous pensons, bien évidemment, le concevoir  autrement, et nous ne cessons de nous interroger à sur son sens pour finalement juger que le but, tout autant que l’itinéraire, sont dérisoires, tant nous nous retrouvons, un siècle plus tard avec la même problématique élitiste qui nous fait refuser certaines formes de tourisme et donner à d’autres formes de voyage des titres de noblesse qui ne sont, ni plus ni moins, qu'un prétexte à marquer la différence. C’est ainsi que s'est développée au cours des quinze dernières années toute une gamme de ‘’produits’’ prétendument éthiques qui font notamment de l’Afrique un terrain de jeu idéal pour des missions humanitaires sans lendemain.
A titre individuel, il y aura toujours ceux pour lesquels, plus qu’un déplacement en tant que tel, le voyage est une mise à disposition de soi même, et ceux qui considère que ce n’est qu'en soi même que l’on voyage. De même que l’artiste peut créer pour le seul bonheur de créer, fut ce dans la douleur, jusqu’au jour, peut-être salutaire, où il se révèle à lui-même et fait alors partie intégrante du tableau, le voyageur peut se révéler à lui-même.  Comme le dit si bien Yvon Le Corre ‘’la mer, pour moi, c’est la solitude, la recherche de quelque chose, ce n’est pas du tourisme’
A ce stade de la réflexion je ne peux m’empêcher de citer ce trait d’humour d’Isabel Allende: ‘’Je dois préciser que je n’appartiens pas à cette étrange groupe de personnes qui part en voyage dans des contrées lointaines, survit aux bactéries et publie ensuite des livres pour convaincre les innocents de marcher sur ces traces. Mes vacances idéales, je les passe assise sous un parasol dans mon jardin, à lire des livres de voyages aventureux que je ne ferai jamais.’’
Ce qu'indirectement Isabel Allende pointe du doigt, c'est que le voyage n'implique pas nécessairement le déplacement. Comment, dans un monde fini qui ne serait plus à découvrir, ne pas s'interrroger sur cette notion de déplacement? Henri Michaux, cité dans le livre de l'anthropologue Jean Didier Urbain, ''Secrets de voyage, menteurs, imposteurs et autres voyageurs impossibles'', nous dit, dès la fin des années vingt: ''Notre terre est rincée de son exotisme''. Urbain ajoute: ''Et qu'invente-t-il, cet homme qui voyage? Du voyage, précisemment! Car ce rinçage ne décourage pas le voyageur, ni ne tue l'aventure, sauf pour certains, que le developpement du voyage international et l'essor du tourisme de masse plongent dans un état de deuil persistant en forme de mélancolie jalouse alimentée par un sentiment de spoliation'' . Nous revoilà au point de départ, faisant face à la même problèmatique élitiste.
En ce qui me concerne, j’imaginais qu’au voyage, devait être associée la notion d’aventure. Le voyage aurait dété une sorte d’errance sans programme préétabli, ce qui, par définition, le met en complète opposition avec le tourisme organisé. Il se serait agi, en somme, d’une sorte de ''road movie'', sans mobile et sans utilité, sans éthique particulière, ni la culpabilité que peut engendrer le voyeurisme du tourisme, voire de l'ethnologie, sans innocence non plus. Passés les quelques premiers milliers de Milles qui devaient nous faire passer Gibraltar et nous éloigner du Cap Vert, nous n’aurions plus de programme et l’on s’en remettrait à notre instinct ou aux aléas de la vie. Il ne serait plus, dès lors, nécessaire de faire un ''beau'' voyage, agrémenté de photos prises sous un angle trompeur et parfaitement étudié. Il ne s'agirait plus de cacher le supermarché dans lequel on a régulièrement fait ses courses pour ne montrer que la petite échoppe dans laquelle on ne s'est arrêté qu'une seule fois. Il ne s'agirait plus de faire un récit illustrant le ''voyage''. Non, il ne s'agirait que d'une errance libre et décomplexée et peu m'importerait alors que me croyant presque seul en un lieu, il me faille ensuite me rendre à l'évidence que des milliers d'autres touristes avaient passés la même frontière que moi.
La plus grande difficulté consistait toutefois à ne pas se bercer de trop d’illusions et à ne pas s’enfermer dans la nostalgie de ce qu’aurait pu être le voyage s’il avait été vécu à une autre époque. Evoquant la duperie des récits de voyage, Claude Levi-Strauss, dans la première partie de son livre ‘’Tristes tropiques’’, première partie qu’il intitule ‘’La fin des voyages’’, écrivait, il y a déjà plus d’un demi siècle : ‘’comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ?...Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité’’ Il poursuit : ‘’L’humanité s’installe dans la mono-culture’’. Nous aurions peut être pu découvrir que, passé ce moment de nostalgie, le voyage redevient une quête de soi même. Suis-je bien ici ? Est-il besoin de se poser la question ? Si je le suis, je m’organise pour y rester, sinon je passe mon chemin. Nous verrons que ce ne fut, malheureusement pas toujours le cas.
Mais qu’est ce que l’aventure ? N’a-t-elle pas de nombreux visages ? Pour certains il s’agit de faire des kilomètres. L’objectif est précis, qu’il s’agisse de traverser l’Afrique d’est en ouest à dos de chameau ou de boucler un tour du monde en quelques mois. Pour d’autres, seul l’exploit sportif donne un sens à une entreprise qui consiste à battre des records, le but étant d’être toujours le premier. Les exploits ayant une fâcheuse tendance à se multiplier, on s’invente de nouveau ‘’challenges’’. Ceux là traverseront le Sahara en planche à voile ou feront le tour du monde en rollers. Il y a également les missionnaires, les mercenaires, ceux qui sont en fuite, ceux qui sont en exil, sans parler des hommes d'affaire, des diplomates, des journalistes, des ethnologues. En deux mots, il y en a pour tous les goûts.
Ma conception de l’aventure était un peu différente, un peu démodée, et je fus bien obligé de m’interroger : Quel sens peut on encore donner au mot ‘’Aventure’’ lorsqu’après cinquante années de vie, le corps montre ses limites ? Quel sens peut on encore donner au mot ‘’Aventure’’ quand, paraît il, bien peu d’endroits restent à découvrir et que le monde s’est couvert d’antennes paraboliques et de zone wifi? Quel sens peut on encore donner au mot ‘’Aventure’’ lorsque les pirates sont équipés de fusils M16 ou de lance-grenades ? Ce n’est plus à mon âge que l’on part en quête d’aventures amoureuses ou que l’on s’en va aborder des rivages incertains. Bien au contraire, on apprend à réduire la voilure, on évite les ‘’histoires’’, on contourne les obstacles et l’on ne sort en mer qu’avec une bonne couverture météo. Adieu Monfreid! 
Il devait bien toutefois rester quelques conditions faciles à réunir pour que le voyage devienne une aventure. Tout d’abord, avoir du temps devant soi. L’aventure n’est pas compatible avec les congés payés. Prendre le temps d’Etre, sans les signes extérieurs de ce que nous avons été, en se laissant bercer par le ‘’rythme’’ du lieu et des gens. J’aime communiquer en silence, ne pas forcer la relation, me faire discret pour mieux me fondre dans le décor, regarder sans violer, partager sans donner et sans prendre. Notre liberté n’est elle pas tout simplement notre capacité à entendre, voir et sentir et l’aventure n’est elle pas le prolongement naturel de la Liberté ? Il faut ensuite être capable de voyager ‘’léger’’, d’éviter de trop planifier en ne préjugeant pas de ce que le hasard  mettra sur notre route. Il n’y a rien de plus handicapant en voyage que d’avoir un sac trop lourd ou des biens trop précieux et trop voyants. Il faudra sans doute aussi, parfois, admettre sa peur et la regarder sans honte. Du marin, Victor Hugo écrit’’ Il était prudent et il poussait quelquefois la prudence jusqu’à oser, ce qui est une grande qualité à la mer. Il avait la crainte du probable, tempérée par l’instinct du possible’’. Mais c’est finalement Conrad qui, dans l’aventure du large, nous invite à revenir à l’essentiel: ‘’Et soudain j’éprouvai avec plaisir la grande sécurité de la mer, en comparaison des agitations de la terre ; je me félicitai du choix que j’avais fait de cette existence dénuée de tentations, dépourvue de problèmes troublants, et à laquelle l’absolue franchise de ses exigences et de la simplicité de son but confèrent une beauté essentielle’’.
Pendant longtemps, je n'eus pas le choix. Je voyageais en rêve, en regardant les cartes marines, en feuilletant les atlas, en lisant les récits de voyage que je ferai un jour. Ce fut, quantitativement, l'étape la plus riche du voyage. Ce n'est que bien après que j'en vins à m'interroger sur ce qu'il était encore possible de faire ou non. Le quotidien se montra pauvre et j'en vins à m'agacer de tous ces récits d'aventure d'un autre âge. Je finis par me poser la question de savoir si la seule aventure qui existe n'est pas celle qui a été narrée. Chaque instant de la vie est susceptible d’être une aventure et nous sommes tous des héros potentiels. Encore faut il qu’une atmosphère ait été crée par le narrateur, qu’il y ait un soupçon d’inconnu, une pincée de mystère, un enjeu, une issue aléatoire, bref un cocktail d’éléments qui mis bout à bout puissent faire l’objet d’un scénario qui dérogera quelque peu à la banalité des situations quotidiennes. Un chouïa d’exotisme ne fera qu’ajouter une touche colorée au tableau.
Si je dis ‘’L’avion se posa’’, je suis dans le quotidien, mais si j’écris ‘’les roues de l’appareil s’écrasèrent lourdement sur la piste’’, je suis déjà dans l’aventure.
Si je dis ‘’Il descendit de l’avion, traversa l’aéroport pour effectuer les formalités de police et prit un taxi’’, je ne vais pas évoquer le voyage, mais si j’écris ‘’La chaleur humide des tropiques et cette odeur indéfinissable et pourtant si caractéristique de l’Afrique subsaharienne le  cueillirent à la sortie de l’avion. Les passagers, tous chargés d’encombrants bagages, se précipitèrent vers la sortie, se bousculant les uns les autres. Il s’écarta de la ruée et son regard s’attarda sur les murs qui suintaient la misère. Lorsque son tour arriva, il tendit son passeport à un fonctionnaire de police aux mains épaisses et dont l’uniforme poussiéreux contenait difficilement des formes trop grasses. Le policier le toisa, puis feuilletant le passeport se donna l’air de réfléchir avec importance’’, alors nous sommes transportés dans une autre réalité qui attise la curiosité.
La question se pose donc de savoir s’il est impératif que les enchainements de situations soient couchés sur le papier pour que l’aventure devienne réalité. La réponse est bien sûr négative car toutes les aventures vécues n’ont pas été relatées, mais faut il au moins que l’acteur principal ou qu’un observateur ait ‘’vécu’’ ce qui est en train de se passer, sinon l’aventure n’existera jamais. Dès qu’un personnage est campé dans un lieu, l’aventure peut voir le jour. Il n’est pas besoin que le héros ait réellement vécu des choses hors du commun car c’est la manière dont elles auront été appréhendées ou narrées qui feront que nous serons en présence d’une aventure. Cela vaut pour soi même car il me semble que l'essentiel est de savoir entretenir le rêve. N'en déplaise aux gens sérieux, rien ne vaut les romans destinés à la jeunesse, ceux de Stevenson par exemple. 
Pourtant, je ne pouvais admettre que le voyage ne soit qu'un rêve tournant les pages d'un grand récit pour enfant dans lequel l'aventure serait à chaque page. Cela aurait signifié que l'imaginaire aurait largement  pris le pas sur le réel, et qu'il m'aurait fallu voyager dans un monde virtuel. Je m'interrogeais à nouveau pour réaliser rapidement que j'étais en voyage aussi bien au pays qu'à l'extérieur, ni explorateur, ni missionnaire, ni clochard céleste, simplement libre de mon temps, libre de travailler ou de rester oisif, d'écrire ou de me taire, étranger chez moi comme ailleurs car n'ayant pas de réel chez moi. N'était ce pas finalement ça, le voyage? Une errance solitaire à travers la vie et pourquoi pas, tant qu'à faire, avec ce soupçon d’inconnu, cette pincée de mystère, une issue aléatoire, et un chouïa d’exotisme. Bon voyage!       


LE BATEAU
Un albatros en cage


Tout avait commencé avec un bateau qui prenait l’eau de toute part mais qui m’avait séduit comme un beau chien pouilleux peut séduire l’amoureux des bêtes qui visite un centre de la SPA. Le bateau était amarré dans un port de Vendée et semblait me supplier de ne pas le laisser là plus longtemps. Ce fut un coup de foudre immédiat. Il faut dire que j’étais depuis quelques temps déjà à la recherche d’une embarcation solide qui pourrait accueillir toute ma petite famille et serait en mesure de nous porter sur tous les océans. Je me suis immédiatement laissé séduire par son étrave imposante, sa mature, son gréement, son plan de pont et par une foule de petits détails d’aménagement qui me plaisaient. Je dois sans plus attendre saluer Guy Saillard, l’architecte qui l’avait dessiné sans probablement savoir qu’il enfantait l’objet d’une passion qui durerait toute une vie. Je devrais également en profiter pour régler quelques comptes car ils sont nombreux ces imbéciles qui t’ont pris en otage, ces apprentis patrons de chantier naval, aussi petits que tu es libre, toi, mon bateau, qui après plus de trente ans d’existence est toujours aussi jeune. Mais est-il vraiment nécessaire de les nommer ? La liste serait longue et ne ferait qu’attiser la rancœur. Il faut absolument lire ce que Jean François Deniau écrit à propos des chantiers dans son livre ''la mer est ronde'':
''Pendant l'hiver, on a écrit une ou deux fois au chantier pour lui rappeler quelques détails techniques, mais surtout pour ne pas se faire oublier. On lui annoncé que le bateau devait impérativement être en état de naviguer au plus tard le 17 juillet (en prenant une marge de sécurité d'au moins huit jours)....etc...On arrive....En onze mois, le bateau, objet de tous vos rêves, s'est transformé en épave..etc...Le patron du chantier n'est pas là (il a dû aller en ville)...Ce n'est pas dans l'ouragan qu'on peut juger le mieux un capitaine courageux. C'est ici, maintenant.... ‘’Des patrons de chantier: ‘’Il faut par votre présence permanente dans ses pattes lui causer plus d'emmerdements qu'il ne craint d'en avoir en faisant attendre encore plus un autre client. Ceci sans toutefois jamais risquer l'incident et la rupture...’’ Manifestement, Deniau sait de quoi il parle. Il dit avec beaucoup d’humour ce que d’autres auraient beaucoup moins bien dit avec beaucoup d’amertume.
Bon an, mal an, nous avons remis le bateau en état. Il a beaucoup changé mais il reste le même et je continuerai de compter sur son ardeur aussi longtemps que le destin me donnera la force de tenir sa barre. Ce bateau qui prenait l’eau, cet albatros en cage, ce prince de la mer qui avait si longtemps souffert d’être enchainé, allait enfin pouvoir fendre la houle.
Je me dois, à ce stade, d’informer le lecteur de qui tu es. Le Bonaventure – c’est ton nom - est un beau petit cotre en acier, d’un peu plus de onze mètres de long, modèle ETAC 38. Des gens, sans doute fort sympathiques, t’ont construit en 1970, puis t’ont vendu (comment cela est il possible?) à d’autres gens qui n’ont pas fait grand-chose pour toi et t’ont laissé prendre l’eau et rouiller avant de te vendre à leur tour à celui qui pensait n’avoir sans doute rien de mieux à faire que de passer des centaines d’heures à te bichonner. Je dois à ce titre rendre hommage à Denis L. qui contribua largement à ton sauvetage.
Nous n’avons jamais définitivement posé la clé à molette ou le pinceau mais nous avons su prendre la route. Le 8 mars 1992, nous quittions la Trinité. L’urgence était de trouver un abri bon marché et Denis avait ses entrées à Perros Guirec. Denis connaissait la Bretagne. Il savait tirer profit des courants de marée. Il ne nous a fallu que 15 heures pour parcourir les 120 milles nautiques qui séparent la Pointe du Raz de Perros Guirrec. Une moyenne de 8 Nœuds ! Quatre mois plus tard, nous prenions le chemin inverse en direction de La Rochelle. Nous visitâmes Brest, Audierne, la rivière d’Auray, l’île de Ré, Oléron... Fin août, nous étions en Méditerranée et nous établissions notre QG à Port St Louis du Rhône. Très vite, nous avons dû réaliser que nous n’avions pas les moyens de nous offrir une place à temps plein dans un port méditerranéen. Tu seras sans cesse déplacé de mouillage en mouillage. Anse du Verdon, baie de Pampelone, anse des Fosses, anse de la Salis, îles de Lérins, rade d’Agay, ne rentrant au port que par fort coup de mistral. Ensuite, je t’ai longtemps laissé seul dans des chantiers qui ne méritent pas d’être cités. Pendant des années, j’ai travaillé à l’autre bout du monde mais je n’ai jamais cessé de penser à toi. Tu es toujours là, plus vaillant que jamais et je t’en remercie. Tu as raison d’être fier.

Les travaux de rénovation et d’armement ont duré près de dix ans. Au départ, la philosophie était on ne peut plus claire. Il nous fallait du solide et du simple. Dans un deuxième temps, il nous a fallu penser à réduire les poids et les dépenses. 

En ce qui concerne le gréement, je considérais qu’il n’était pas question de naviguer dans du vent fort avec un génois sur enrouleur. Le vent qui s’engouffre dans un génois partiellement enroulé, j’avais déjà donné. L’enrouleur qui se bloque et vous empêche de réduire la voilure quand il serait indispensable de le faire, j’avais également donné. De surcroît, l’enrouleur constitue un fardage supplémentaire sur l’avant du bateau. Nous en avions un. Il a fini à la poubelle après que le génois se soit déchiré par 35 nœuds de vent en baie de Cogolin. Les enfants et moi-même avons passé une après midi entière à sortir le génois du rail de son enrouleur, jouant à tour de rôle au pendule par dix ou douze mètres de haut, un couteau à la main.
Aujourd’hui, nous disposons d’un grand génois pour le petit temps mais les voiles qui sont toujours à poste sont le yankee et la trinquette. Les manœuvres sont beaucoup moins ‘’physiques’’ avec plusieurs petites voiles  et le bateau est beaucoup plus stable car la voilure est plus proche du centre de gravité du bateau. Les grand-voiles sont équipées de quatre bandes de ris, ce qui permet d’avoir un bateau toujours parfaitement équilibré quelques soient les conditions. C’est ainsi que nous avons réalisé une traversée sur la Sicile sans avoir à toucher la barre une seule fois. Nous n’avions pourtant pas de pilote automatique et nous n’avions bloqué la barre d’aucune façon. Le bateau s’est posé sur le flanc et nous a fait parcourir 130 milles nautiques sur le même cap avec une déconcertante sérénité. 
Nous disposons au total de 10 voiles : 2 grand-voiles, 27 & 29 m2, 1 génois 58 m2, 1 foc n°1, 2 yankees 40 m2, 2 trinquette 14 & 15 m2 dont une avec ris, 1 tourmentin 5m2. Nous n’avions pas de spi car c’est une toile trop fragile et nous ne sommes pas des régatiers. Le génois, maintenu par un tangon faisait largement l’affaire au portant, mais à Fortaleza, nous avons rencontré Volker qui nous a fait cadeau d’un blister avant notre remontée sur les Caraïbes. Le blister est une sorte de Gennaker que l’on envoie ou ramène à l’aide d’une chaussette. C’est une voile de petit temps, facile à manier et  que l’on utilise au portant. Elle nous a fait gagner une ou deux journées de navigation sur certaines étapes.
L’ensemble du haubanage constitué d’un étai D10, d’un bas étai D8, de deux  pataras D8, de deux bastaques D8, de deux haubans D10, de deux inters D7, de deux bas haubans avant D8, et de deux bas haubans arrière D8 fut entièrement changé fin 2006. Nous étions partis du principe que l’ensemble des câbles nous coûterait de toute façon moins cher qu’un démâtage éventuel.
Nous avons également installé des échelons de mât qui permettent de grimper seul sans être assuré.  


                                                    Le pont avant du Bonaventure


S’agissant du mouillage, je m’en suis longtemps remis aux recommandations d’Alain Grée qui y a consacré un livre entier. Nous disposions de 5 ancres. Nous en avons perdu une à Fernando de Noronha et une autre derrière la barrière de récif de Praia do Francès. Le mouillage principal est constitué d’une CQR de 45 kgs et d’une petite ancre FOB prête à être empennelée,  l’ensemble monté sur 50 m de chaîne de 12 mm. Nous disposons en outre d’une ancre FOB, plus légère. Cette ancre secondaire est toujours prête à être empennelée ou montée sur 30 m de câblot 18 mm. Enfin, nous avons une Danforth de secours à l’arrière du bateau, 100 m de chaîne et 100 m de câblot 25 mm stockés au fond de la quille.
Soufrant du dos, il a bien fallu que je me rende à l’évidence. Seul un guindeau électrique nous permettrait de mouiller autant de fois qu’il nous plairait dans presque toutes les conditions. Nous avons fait l’acquisition d’un Tigre Lofrans 1000 W, ce qui m’a tout de suite donné l’impression d’avoir quelques années de moins.  

Sous prétexte de confort, les ‘’plaisanciers’’ s’empoisonnent la vie avec toute une série d’équipements que les revues spécialisées ne cesse de leur vanter. La plupart de ces magazines s’apparentent davantage à des catalogues publicitaires qu’à de véritables revues nautiques. La consommation électrique sur un bateau est un problème majeur, et je considère pour ma part que tout équipement électrique qui peut être remplacé par un bout de ficelle doit immédiatement être remplacé par le dit bout de ficelle. Nous disposions à bord d’un pilote électrique que nous n’utilisions que lorsque le moteur était en route. Il ne fonctionne plus et nous ne nous en portons pas plus mal. Nous considérons par contre que notre régulateur d’allure Atoms est indispensable. Il ne s’est jamais moqué de nous.   
Dans le même esprit, ont été bannis tous les équipements électroniques qui représentent une part non négligeable du budget d’équipement d’un bateau et dont on ne sait jamais à quel moment ils décideront de rendre l’âme.
Le bateau est équipé du matériel de base : Un compas, un sondeur, une VHF et c’est à peu près tout. Nous avons deux sextants à bord mais nous ne les utilisons plus depuis que nous avons fait l’acquisition de deux petits GPS portables.  Pour la navigation, nous avons openCPN, mais nous continuons d’utiliser les cartes papier. La plupart ont été récupérées sur des navires de commerce. Je suis sidéré de constater que la plupart des bateaux de plaisance ne disposent plus aujourd’hui que de cartes électroniques. Je ne leur souhaite pas de prendre la foudre. Lorsque nous

Nous disposions à l’origine d’un excellent moteur diesel qui ne nous avait jamais laissé en plan. Il s’agissait d’un Renault Couach 45 CV. Ce moteur était d’une fiabilité sans pareille et il nous aurait largement survécus s’il ne m’avait fallu l’abandonner pour cause de manque de pièces de rechange. Le bloc cylindre et la culasse étaient en fonte et le refroidissement se faisait à l’eau de mer, en circuit direct. Impossible de faire plus simple. Le seul vrai problème venait de l’inverseur. Un Borg-Warner mécanique. Je crois qu’il nous avait lâchés pour la première fois en 1993 et qu’il n’avait plus jamais réellement fonctionné ensuite. Pendant quinze ans, nous nous sommes passés de marche arrière. Nous avons démonté l’inverseur à plusieurs reprises mais rien n’y a fait et j’ai fini par me lasser de nos entrées ‘’sauvages’’ dans les ports qui sont malheureusement de plus en plus encombrés. C’est avec grand regret que j’ai dû me séparer de ce moteur. Je l’ai donné à un pêcheur de Bizerte. Nous avons maintenant  un Nanni Diesel 50CV moins bruyant et plus léger. Nous disposons à bord de toutes les pièces de rechange usuelles (joints, filtres, durites etc) ainsi que d’un arbre d’hélice de secours. Le moteur, positionné sous la descente, est très facilement accessible de tous cotés.
Nous ne disposons que d’un petit réservoir (120 litres) complété par un grand nombre de jerricans de 10 et 20 litres permettant un approvisionnement beaucoup plus simple. Il est en effet illusoire de vouloir faire un plein à la station lorsque l’on est au mouillage…

Les amateurs de plaisance remarqueront que les catalogues d’accastillage commencent toujours par une rubrique sécurité. Il faut d’abord faire peur. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut vendre. Toute personne ayant eu une activité commerciale sait que la peur est un excellent déclencheur de dépenses. Les hommes politiques n’hésitent pas non plus à faire un usage déraisonnable de la peur pour asseoir leurs positions. Les médias sont là pour les y aider. En ce qui nous concerne, nous disposons, comme les pompiers, d’une moto pompe achetée chez un fournisseur de matériel agricole et de quelques sceaux de maçon. C’est autrement plus rassurant que toutes ces petites pompes électriques d’assèchement qui ont pour caractéristique première de ne plus fonctionner dès que les batteries sont sous l’eau. Nous avons également procédé au  remplacement des filières de pont par des barreaux inox reliant tous les chandeliers, lesquels ont été surélevés. Cela permet des déplacements plus sûrs, en particulier lorsqu’il faut ramener les voiles d’avant.
Pour le reste, notre matériel de sécurité est relativement standard pour un bateau naviguant en 1ère catégorie: radeau de survie non révisé, brassières rangées, un harnais à portée de main (il s’agit en fait d’un baudrier d’escalade), fusées sans doute périmées, extincteurs en état de marche, miroir, corne de brume etc. Nous disposons depuis peu d’une balise qui nous a été imposée par un assureur chez qui nous n’avons finalement jamais été assurés.

Le confort est une donnée très relative et très personnelle. Il est donc inutile de flâner chez les shipchandlers sans avoir préalablement parfaitement identifié ses besoins, faute de quoi nous y laisserions à chaque fois toutes nos économies. Le confort dépend de la taille du bateau, du budget de son équipage et du temps qu’il souhaitera consacrer aux opérations de maintenance. Je n’avais pas envi de passer mon temps aux escales à rechercher un frigoriste, pas plus que je n’avais envi de faire tourner le moteur trois heures par jour pour recharger les batteries.  Nous n’avons donc ni chauffe-eau, ni micro-onde, ni machine à laver, car il faudrait pour cela un bateau beaucoup plus grand et un parc de batteries démesuré. Nous naviguons tous feux éteints et ne nous éclairons qu’en cas de risque de collision. Etant donné que nous n’avons pas de radar, il y a toujours quelqu’un sur le pont. J’envisageais lorsque nous serions à Trinidad d’investir dans des panneaux solaires. Pour l’instant, je compte mes sous. Nous avons par contre fait, avant notre départ,  l’acquisition d’une chaleureuse cuisinière à gaz et nous n’excluons pas de faire l’acquisition d’un poêle si notre route nous conduit vers des latitudes peu clémentes. J’ai le souvenir qu’une grand-mère bretonne, femme de pêcheur, m’avait conseillé de mettre une bougie sous un pot de fleur en terre cuite retourné. Le rayonnement engendré était supposé nous réchauffer. Je tire de cette expérience deux conclusions : La première est que les marins bretons sont définitivement plus résistants au froid que je ne le serai jamais. La deuxième est que cette grand-mère était une excellente vendeuse car je lui ai tout de même acheté deux pots de fleur en terre avant de les abandonner sur un quai.  
La descente est protégée par une capote. C’est un équipement indispensable pour se protéger du froid. Par ailleurs, sept panneaux en plexiglas permettent une vision à 360 degrés depuis la descente. Six autres permettent de surveiller la mer depuis la table à carte, la couchette bâbord, le carré, la cuisine etc. Cela a pour effet de rendre l’intérieur du bateau très lumineux et cela vaut bien d’autres conforts.

                                                Le Bonaventure à Bahia